Seignelay, son histoire

Seignelay, son histoire

Jean-Baptiste Colbert et Seignelay (lettres, monogramme, ...)

Portrait et armoiries de Jean Baptiste Colbert

 

 

Le Grand COLBERT avait deux passions : La grandeur de la France, et la chasse dans son marquisat de Seignelay

 

par Pierre MAES de Villeneuve st Salves

(l'écho d'Auxerre N° 71 – 1967)  

 

Colbert, qui contribua si puissamment à la grandeur du règne de Louis XIV, ne fût pas seulement le grand administrateur que l'histoire nous révèle comme ministre, il fût aussi un chasseur avisé et, là encore, nous retrouvons jusque dans les moindre détails, toutes ses qualités maîtresses. Toutes ses lettres privées sont empruntées de cet esprit précis, positif et méthodique qui ne le quittait jamais, même dans les instructions qu'il donnait à ses gens en qualité de « Marquis de Seignelay ».

On sait, en effet que Colbert arrivé à l'apogée de la puissance et de la gloire, avait voulu, comme tous les personnages de qualité de l'époque posséder sa « maison des champs » et avait acheté en 1657, le vieux manoir de Seignelay, de la maison des Savoisy, il garde toujours pour cette terre de Seignelay une prédilection marquée. Lui, qui, si peiné de ne pas être issu d'une illustre origine, (comme s'il ne lui suffisait pas d'être l'ancêtre de sa famille! avait eu la faiblesse de s'agenouiller devant la tombe du chevalier écossais : « Richard Kolbert » comme devant le tombeau d'un des siens), rêvait de faire de sa terre de Seignelay une résidence somptueuse. Les rares heures de repos que se permettait cet homme infatigable qui travaillait jusqu'à 18 heures par jour à la grandeur de la France! Il les partageait entre ses délassement favoris : en tout premier lieu, sa bibliothèque, ensuite sa terre de Seignelay, ses haras et surtout la chasse. Oui, comme en font foi les allusions fréquentes rencontrées dans beaucoup de ses lettres privées, Colbert s'intéressait particulièrement à la chasse et à sa chasse de Seignelay.

Dans sa correspondance avec Michel Grimaudet de Motheux, capitaine des chasses et gouverneur du château de Seignelay, combien de fois le voyons-nous s'enquérir de la quantité de gibier qu'il y a dans « l'estendue de ses terres » recommandant « de s'appliquer par tous moyens possibles à augmenter le gibier » à détruire « les loups et bestes puantes » à réprimer le braconnage…Mais Colbert ne se borne pas à la protection de son gibier en bon administrateur, il s'occupe aussi au repeuplement de ses chasses, en perdreaux surtout, son gibier favori, sur lequel il revient à tout instant.

Au printemps, il fait envoyer des perdrix vivantes à Motheux, lui écrivant ensuite de :

 

« St Germain, le 15 avril 1672 

 

J'ay reçu , votre lettre du 11 de ce mois, je seray bien ayse que vous m'informiez si les 18 perdrix que je vous ay envoyées en dernier lieu vivront, si elles se multiplieront, et surtout que vous appliquiez à la conservation de toutes les autres qui sont dans mess terres ».

 

Dès l'automne il songe à mettre couver des œufs de perdrix au printemps suivant, et il écrit à Genouille remplissant dans sa terre de Châteauneuf les mêmes fonctions que Motheux à Seignelay, pour lui demander  « d'examiner s'il ne serait pas bon d'avoir dans le temps de ponte, des œufs de perdrix pour les faire couver ».

Maintes fois aussi nous le voyons recommander « d'oster les masles pendant l'hyvr et de tuer les vieilles perdrix et les vieux lièvres, moyen que l'on estime infaillible pour multiplier le gibier ».

Voici quelques extraits (tome VII des lettres, instructions et mémoires de Colbert publié vers 1873 par Pierre Clément) de la correspondance privée de Colbert qui mieux qu'aucun commentaire montreront l'intérêt que ce grand  ministre portait à la chasse.

 

« au sieur Motheux à Seignelay 16 octobre 1671

 

            J'ay été bien aise d'apprendre par votre lettre du 5 de ce mois qu'il y ayt beaucoup de gibier dans mes terres. Appliquez-vous surtout à augmenter le nombre de perdrix et des faisans, s'il est possible, et pendant cet hyver, appliquez-vous plus particulièrement que vous ne donniez la mesme application à conserver les chasses dans l'étendue de l'evesché d'Auxerre. Lorsque M. Hosdier sera de retour, je verray ce qu'il y aura à faire sur le sujet des délits qui se peuvent commettre dans mes bois et vous feray savoir ensuit mes instruction. »

 

Au même 14 octobre 1672

 

            « Je ne doute pas que vous ne cherchiez tous les expédients possibles pour augmenter le gibier dans mes terres et pour détruire les bestes puantes. Il sera necessaire que pendant cet hyver vous fassiez en sorte de faire tuer les masles des perdrix et d'en envoyer icy la plus grande quantité qu'il se pourra. »

 

Au même Saint Germain 28 ovtobre 1672.

 

            « J'ay reçu la lettre que vous m'avez écrite le 22 de ce mois par laquelle vous me donniez avis que vous aviez surpris des jeunes gens d'Auxerre chasser sur mes terre ; vous avez bien fait d'informer contre eux et il sera important que vous fassiez faire le procès ; mais prenez garde surtout que la procédure soit régulière en sorte qu'elle puisse être soutenue en cas d'appel.

            A l'égard des gens de guerre, il sera bon que vous preniez vos précautions pour en parler aux officiers de troupe, qui passent par Auxerre, et que vous fassiez connaître au Maire et échevins la mauvaise conduite de quelques-uns des habitants de cette ville-là.

            Continuez à vous appliquer à la conservation de mes biens et à faire tout ce qui sera possible pour augmenter le gibier de mes terres. Pour cet effet, il faut faire oster les masles et les vieilles perdrix, estant  un moyen que l'on estime infaillible pour multiplier le gibier.

            Penez bien garde que le débordement des habitants d'Auxerre ne se fasse pas le jour de Saint-Hubert, ainsy qu'ils  avaient autrefois accoustumé de le faire. »

 

Mais si Colbert avait le désir de faire respecter ses chasses, il avait aussi user de clémence surtout envers ses voisins de qualité ! C'est ainsi que nous le voyons écrire à Motheux de : 

 

St Germain 27 mai 1672.

 

            « A l'égard de ce qui s'est passé à la chasse du cerf que M. de Tavannes à fait faire, (Il s'agit sans doute de Charles-Marie de Saulx, marquis de Tavannes, fils du comte de Tavannes.) vous savez bien que je vous ay souvent expliqué que je ne prétends pas que l'établissement de ma capitainerie empeschat les gentils hommes particuliers de chasser sur leurs terres et beaucoup mons à l'égard d'une personne de cette qualité. »

Et après lui avoir dit qu'il avait bien fait « de décréter contre ceux qui se sont trouvés à la mort du cerf » il ajoute : « mais ne faites pas exécuter le décret sans que je ne vous le fasse savoir, et lorsque M. de Tavannes m'en fera parler, j'accomoderay cette affaire. Il faut que vous teniez secret ce que je vous écris à ce sujet.

            Mandez-moi s'il y a beaucoup de gibier dans mes terres et si vous voyez quantité de perdrix ! »

 

Les efforts de Colbert pour ses chasses furent-ils couronnés de succès ? Nous aimons à le croire. Car le châtelain de Seignelay ne se borna pas seulement à la protection et au repeuplement de ses chasses. Il les aménagea de façon à pouvoir mieux en jouir et à en faire profiter les nombreux et puissant personnages qu'il aimait à recevoir dans sa terre à Seignelay. Il  y fit installer de nombreux rendez-vous de chasse, tels ceux de Sougères sur Sinotte, de Villeneuve-St-Salves, ou devait se faire souvent le hallali.

 

            Louis XIV lui-même de passage à Auxerre le 31 mai 1683, fit honneur à M. de Seignelay  « de venir en son parc prendre divertissement » le tableau fut-il aussi brillant que l'illustre invité de cette chasse ? C'est ce qu'on ne nous rapporte pas. En tout cas, Colbert n'en était pas a ses premières invitations, car en 1668 Motheux déjà lui écrivait de :

 

Monéteau le 15 septembre 1668

 

« Je vous ay envoyé, avec la derniére que je me suis donné l'honneur de vous écrire, l'estat des perdreaux que j'ay reçu jusqu'à ce jour, ensemble les noms et la quantité que chacun d'eux ont envoyé (sic).

Il est arrivé depuis ce temps-là une quantité assez considérable et tous bons, dont je tiens une liste, ainsy que de précédens, pour vous la présenter, ainsi que vous me l'ordonnez, quand vous serez sur les lieux.

J'espère Monseigneur, que vous serez satisfait de votre haras et que vous y trouverez ce que j'ay pris la liberté de vous écrire.

Vous avez dans vos bois une prodigieuse quantité de chenilles, aussy que partout ailleur ; du reste on n'y fait pas de dégâts et ils sont bien conservés.

Vous pouvez courre, Monseigneur, ou donner à courre cinq ou six cerfs tant vos bois que ceux du chapitre, dans lesquels il y a des loups qui nous donnent de l'exercice, mais non pas sans fruit, y en ayant toujours quelqu'un qui paye nos peines.

Ce sera encore une chasse à donner du divertissement tant à vous Monseigneur, qu'a ceux qui auront l'honneur de vous accompagner, je vous prie Dieu, que ce soit bientôt avec parfaite santé. »

 

            Et pour terminer, je citerai un passage de la réponse que Colbert adressa de Versailles le 6 avril 1674 au duc d'Enghein, gouverneur de Bourgogne, qui lui avait raconté la réception et le somptueux repas auquel l'avait convié l'évêque d'Auxerre. Colbert dans cette lettre prend le ton railleur et se montre plus l'homme de marbre « vir marmoreus » comme l'appelait Guy Patin. En effet en bon voisin il s'inquiète des conséquence que pourrait avoir pour sa chasse les réceptions de l'évêque et espère que les louanges du duc d'Enghein à l'égard du prélat, ne persuaderont pas « l'évesque d'Auxerre qu'il pourrait parvenir à la qualité de prince des costeaux et Dieu sçait qu'elle destruction de perdrix ses voisins souffriroient ! ainsy j'espère» poursuit-il « qu'au retour de votre altesse, elle s'appliquera un peu davantage à louer sur la régularité de ses fonctions pour sauver au moins quelques perdrix de la destruction qu'il ferait ! »

Sur quoi le duc d'Enghein le rassura d'ailleurs quelques jours après en lui répondant :

            « Tout le monde est parfaitement édifié de luy (l'évêque d'Auxerre) voir une vertu très austère, dans tout ce qui touche et point du tout insupportable ni déraisonnable dans les choses qui regardent son prochain.Voilà, je pense, la perfection de la dévotion ou peu de gens sont parvenus.»  

 

 

 A M. Poursin

Bailli de Seignelay

(lettre autographe)

 

                        Paris 28 septembre 1658

 

IL y a longtemps que je vous ay écrit à cause des voyages que j'ay faits et qui m'ont empesché d'estre ponctuel à vos lettres des 31 aoust, 13 et 16 de ce mois.

Je commenceray par vous dire que l'on vous a envoyé par le coche d'aujourd'huy 3000 livres dont vous donnerey ce que vous estimerez à propos aux entrepreneurs, afin qu'ils continuent leur travail avec la mesme diligence qu'ils ont fait jusqu'à présent, et ne manquez pas de me donner avis du temps qu'ils auront employé cet argent, afin que, si vous ne pouvez recevoir à Auxerre du commis du sel ou de celuy des aydes, je puisse vous en envoyer d'icy, afin que mes ouvrages ne retardent point du tout, ayant beaucoup d'impatience que mon chasteau soit logeable.

J'ay reçu l'information que vous avez faite contre les fermiers d'H'éry, dont la conduite me semble assez extraordinaire. 

Lorsque vous irez à Auxerre, je vous prie de dire aux fermiers généraux que j'ay esté fort surpris d'apprendre le procédé de leurs fermiers particuliers et que je commenceray par les mettre en procès, mais qu'en mesme temps je feray donner des coups de baston à ceux qui enverront des pescheurs dans ma rivière, n'estant pas résolu de souffrir d'estre traité de la sorte par des gens qui sont fermiers de Son Eminence; et s'ils y retournent, ne manquez pas de m'en donner avis aussytôt.

Vous me ferez plaisir de me faire sçavoir toutes les semaines, l'estat auquel seront les ouvrages de mon chasteau et de mes escluses.

M. Le Vau ira dans peu de jours à Seignelay; vous luy pouvez demander si les vieux matériaux des couvertures doivent appartenir ou non aux couvreurs; il me semble qu'ils ne le doivent pas, mais comme je ne crois pas que celà soit de grande conséquence, si ledit sieur Le Vau leur veut accorder, il faudra le laisser faire.

Je vous prie de bien prendre garde toujours que les matériaux soyent bons et que mon bois soit bien mesnagé.

Je serais bien ayse que le puits de la cour du donjon fust curé, et je m'étonne que les entrepreneurs ne s'en soyent point encore servis.

Il faut que vous pressiez mes fermiers de payer de qu'ils doivent de reste de l'année 1657, et le terme de Saint Jean dernier, afin que cet argent puisse servir à mes bastimens, et en cas qu'ils reculent, vous leur direz de ma part que je veux estre payé.

Je suis bien ayse que vous ayez trouvé un terrain propre à faire un jardin; quand M. Le Vau sera sur les lieux, vous luy ferez voir l'endroit que vous me marquez, afin qu'il m'en dise son avis à son retour.

Au cas qu'il ne vous reste point d'argent pour prester à quelques-uns de mes habitans qui voudront faire quelque trafic, ne manquez pas de me le faire sçavoir au plus tost, afin que je vous en puisse envoyer, estant bien ayse de faire valoir et augmenter les marchés; et vous me ferez fort grand plaisir de faire toutes les choses que vous croirez y pouvoir contribuer.

Je suis satisfait de ce que vous m'avez écrit, concernant les terres de Saint-Cyr et d'Avigneau.

Je suis bien ayse que vous ayez reçu les trois toises de plastre que je vous ay envoyées, et je vous prie de bien prendre garde qu'il soit bien conservé pour le faire cuire; comme je suis bien assuré que l'on en employe beaucoup moins icy, je m'informeray de quelle sorte celà se fait et vous en écriray par le premier ordinaire.

Si vos deux beaux-frères veulent s'établir à Seignelay, comme vous me l'avez dit, je donneray l'une de mes chapelles à l'un, à son choix, et à l'autre la charge de procureur fiscal. Vous me ferez sçavoir leurs intentions, afin que je vous envoye les provisions de l'un et de l'autre.

Je suis bien ayse de voir, par vostre lettre du 9, de quelle sorte les entrepreneurs travaillent à mon écluse; j'espère que ce sera un ouvrage à durer éternellement; je vous prie de continuer d'y prendre garde et de prendre toujours les avis de toutes les personnes connaissant en ces sortes de travaux, afin de ne rien espayner pour les mettre en estat de durer à jamais.

M. Le Vau m'a assuré que les entrepreneurs feraient mon escalier de pierre de Bailly, et les marches de pierre dure de Chablis. Faites connoistre aux entrepreneurs qu'ils me feront très grand plaisir s'ils peuvent avoir achevé tous les ouvrages du dedans du donjon au caresme prochain, parceque je seray bien ayse d'y aller en ce temps là et n'estre pas incommodé des ouvriers. 

Je suis bien ayse que vous ayez fait faire les bastardeaux pour maintenir ma rivière dans son ancien cours. Si les habitans de Hauterive ont la hardiesse de les rompre, comme vous dites qu'ils ont desjà fait, il ne faudra pas manquer de les punir par quelque voye que ce soit, et il est bon que vous leur fassiez bien connoistre qu'assurément, ils s'en repentiront; s'ils y touchent.

            Je suis bien ayse que vous ayez fait fosseyer et labourer une partie de la pièce de terre joignant mes bois, je ne doute point que la chastaigne et le gland que vous y ferez semer ne poussent fort bien.

            Au cas que vous ayez encore besoin d'argent, ne manquez pas de me le faire sçavoir, afin que je vous en puisse envoyer.

            Je trouve bien cher à 12 livres la toise courante du mur d'appuy, chaperonnement et crépissement du mur du tour de ma basse-cour. J'aurais esté bien ayse que vous eussiez vu vous-mesme si on ne peut pas faire un plus grand mesnage, vous avouant que j'ay peine à me résoudre à mettre tant d'argent à raccommoder mon chasteau, quoyque je voye bien que cela est presque nécessaire.

            Faites moy sçavoir combien il y a de toises courantes aux deux murs de la basse-cour et de la fausse-braye, afin que je voye combien il m'en coustera; et quand M. Le Vau sera sur les lieux, je le prieray de faire ce marché avec lesdits entrepreneurs au meilleur prix qu'il se pourra.

            J'estime que vous avez à présent 6 milliers de fer que vous deviez aller prendre à la forge d'Aisy-sous-Rougement; mais je m'étonne de n'avoir point reçu de lettre de vous, depuis le 16 de ce mois.

            Comme je connais par toutes vos lettres qu'il vous faut plus d'argent que je vous en ay envoyé, je suis résolu de vous envoyer encore 3 000 livres par le prochain coche.

            Mandez moy en quel estat sont les vignes de mon finage; s'il y aura du vin ou non, s'il sera bon; et mesme vous me ferez plaisir de m'apprendre s'il y a du bled.

            Il faut presser mes habitans de payer ce qu'ils doivent de reste des tailles des années derniëres, n'estant pas raisonnable qu'ils retardent davantage à payer.

 

                      Monogramme de Jean Baptiste Colbert

       

Lettre signée par Louis XIV et J.B. Colbert

 

 

 



05/01/2010
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